Vendredi 4 février 2022, la Fondation Nomads organisait, en partenariat avec la société IWG Suisse (Signature, Regus, Spaces), son petit déjeuner « Futur des jobs” qui s’est déroulé en ligne, en visioconférence. Animée par la journaliste Irma Danon sur le thème « L’enseignement artistique, “booster” de compétences ? », cette rencontre réunissait Philippe Régana, directeur du Conservatoire populaire de musique, danse et théâtre de Genève et également hautboïste, chef d’orchestre et compositeur, et le Dr Donald Glowinski, directeur du programme “compétences émotionnelles” de l’Université de Genève, chercheur en neuropsychologie et science du comportement au Laboratoire des neurosciences des dynamiques affectives et émotionnelles (NEAD) et également musicien : il est diplômé du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris.
Lors de cette discussion, les deux intervenants ont montré à quel point l’enseignement artistique, et plus particulièrement l’apprentissage d’un instrument et le fait de jouer au sein d’un ensemble musical peuvent aider à résoudre des problèmes complexes dans d’autres domaines de la vie : scolaire, professionnel, ou même lors d’une neuro-réhabilitation à la suite d’un accident.
Jouer d’un instrument en groupe impose de la discipline et une grande rigueur. Il faut combiner de multiples contraintes pour pouvoir s’exprimer : elles sont imposées par l’instrument lui-même, par la partition à interpréter et par une totale coordination entre les interprètes. Tout cela exige la plus grande attention, chacun devant constamment veiller à la meilleure connexion entre ses propres gestes et le résultat de l’ensemble.
Un petit film présenté par Donald Glowinski, “From Music to Healthcare Interventions”, a permis de comparer, grâce à des capteurs, les interactions qu’il y a dans un quatuor à cordes et celles qui se font au sein d’une équipe médicale en intervention. Dans les deux cas, chaque membre du groupe est en éveil permanent, attentif aux gestes des autres, afin d’exécuter au mieux son rôle. Ainsi, la pratique de la musique dans un ensemble permet de développer une forte capacité à résister à de multiples contraintes tout en maintenant la cohésion du groupe, grâce à une coordination rapide fondée sur l’attention, l’observation, le regard, l’écoute et la réactivité en situation d’urgence.
Philippe Régana a présenté un film sur une réalisation menée par le Conservatoire populaire en collaboration avec le Département genevois de l’instruction publique, “L’orchestre en classe”. Des élèves qui n’avaient encore jamais joué d’un instrument ont suivi un enseignement instrumental en orchestre. Dix mois plus tard, ils se produisaient en concert au Victoria Hall. Cette expérience, véritable travail d’équipe, a permis aux jeunes participants de construire un chemin de réussite et d’estime de soi en affirmant leur identité propre au sein d’un ensemble, celui-ci représentant l’unité dans la diversité.
Le directeur du Conservatoire populaire a aussi évoqué une expérience scolaire en France dans laquelle les heures de maths et de français avaient été réduites au profit d’heures de musique : à l’issue de cet essai, le niveau des élèves en maths et en français n’avait pas diminué, ce qui plaide en faveur de l’enseignement de la musique à l’école. Par ailleurs, il a été observé que le cerveau d’un musicien amateur vieillit moins vite que celui d’un non-musicien. Il reste même plus jeune que celui d’un musicien professionnel, probablement grâce à une pratique détendue de la musique comme hobby, et non comme métier, avec le stress que cela peut engendrer.
Pour favoriser le transfert de compétences entre formation musicale et vie professionnelle, Donald Glowinski a défini un modèle de management d’équipe, résumé sous le sigle PAC. Le P renvoie à Partition : plus ou moins détaillée, elle définit la cadre et les objectifs de l’entreprise. Le A réfère à l’Autonomie à donner à chaque membre pour s’assurer de son engagement. Et le C renvoie à la Codépendance : on sait à tout moment où l’on se trouve par rapport aux autres (ce qui est par exemple l’un des principaux défis dans le cadre du télétravail).
L’un des objectifs de cette table ronde était de définir dans quelle mesure les compétences artistiques peuvent être valorisées dans un CV sous la rubrique “hobbies”. Il en est ressorti que les “soft skills” doivent impérativement correspondre aux compétences jugées prioritaires par les entrepreneurs, telles qu’elles ont été décrites dans une étude du WEF. A savoir la résolution de problèmes complexes, la pensée critique, la créativité, le travail d’équipe, la prise de décision, la négociation et la flexibilité cognitive.
Les intervenants ont également insisté sur la nécessité d’illustrer dans un CV les compétences dont on se prévaut. Il ne suffit pas de mentionner qu’on aime le travail d’équipe ou qu’on a une bonne capacité d’adaptation. Il faut aussi donner des exemples concrets, en mentionnant des situations réelles dans lesquelles ces qualités ont été exercées avec succès.
En conclusion,
La pratique de la musique procure des compétences qui, appliquées au travail en entreprise, se révèlent très précieuses. Le fort niveau d’exigence que requiert l’apprentissage d’un instrument, le besoin de s’entraîner et de répéter pour parvenir à un résultat collectif sous la baguette d’un chef d’orchestre : tout cela contribue à une grande efficacité dans l’entreprise, tant par l’effort individuel que dans le travail d’équipe. C’est pourquoi, pour les deux intervenants, on ne peut plus considérer l’enseignement artistique comme une compétence complémentaire dans la formation scolaire. Il importe au contraire de miser sur cet enseignement pour donner aux jeunes des atouts essentiels à leur carrière professionnelle.